Cette exposition parle beaucoup de peinture, dans ses techniques, ses supports, ses sujets… En 1996, tu avais fait une exposition de
« Tentatives » : une série de « vraies » peintures étaient présentées dans la galerie, mais juste pour une nuit, le seul témoignage qu’il en reste est une photographie. Avec plus de 20 ans d’écart, il semble que la peinture soit très présente au sein des œuvres présentées à la galerie, peux tu me parler de ta relation à la peinture ?
Il est probable qu’aujourd’hui la peinture m’intéresse moins que le paysage ! 15 ans de peinture, la Tentative, était déjà essentiellement une exposition de paysages, bien qu’à l’époque, ce qui m’intriguait c’était surtout l’idée d’une vie passée à peindre. Cette fois, j’utilise des peintures de paysage pour esquisser une hypothèse : il y aurait une relation étroite entre les représentations du paysage et la formation des nations. Dans arrière-
plan, les peintures sont représentées en trompe-l’œil, parfois même avec leur cadre. Il y est moins question de la peinture comme technique ou comme pratique pour un artiste, que du destin des peintures, conservées et exposées dans les musées et les collections.
Dans cette exposition, tu cites et même copies très ouvertement des artistes,
des paysagistes américains (Sheeler ou Bierstadt), Albert Marquet particulièrement, et plus généralement tu évoques souvent le travail d’urbanistes, d’architectes, d’ingénieurs … De simples références, un souci de réhabiliter leur travail ?
C’est vrai qu’il s’agit souvent d’artistes dont on peut penser qu’ils n’ont pas eu leur place, ou bien qu’ils l’ont perdue, mais mon propos n’est jamais de les réhabiliter. Je m’intéresse à leur travail tel qu’il nous apparaît aujourd’hui, à la manière dont il reste actif même s’il est parfois un peu oublié ; d’ailleurs ces amnésies sont souvent intéressantes. Mais en fait, il s’agit moins de citations ou de références, que de reprises ou de transformations. J’ai le sentiment de reprendre le travail là où son auteur l’a laissé, ou bien là où je le trouve.
C’est un peu ça, je crois, tous ces travaux sont pour moi comme des objets trouvés, ils ne sont pas forcément abandonnés, mais offrent une sorte de disponibilité. Ils forment un paysage, en quelque sorte, que l’on peut transformer, que l’on transforme toujours quoiqu’il en soit, et que moi j’aime aussi prolonger. Mais dans cette exposition, c’est un peu différent. Pour le cas de Marquet par exemple, ce n’est pas son activité de peintre – d’artiste – que je prolonge, mais plutôt celle des historiens et conservateurs, ou même celle des amateurs de peintures de paysage. Je pense à la manière dont on considère ces œuvres aujourd’hui ; les trompes-l’œil donnent forme à ces différents regards plus qu’ils ne réactualisent les peintures elles-mêmes. C’est pour cette raison que l’on trouve différents registres de présence pour les tableaux dans la galerie. Lisse et brillant, représenté avec son encadrement, c’est le tableau conservé, collectionné qui est présent dans l’exposition, et le sujet du tableau importe finalement un peu moins. Alors qu’un papier peint, dessiné sans son cadre, directement collé au mur, c’est davantage le sujet qui s’impose. On peut dire que si l’un est d’abord un tableau, l’autre est d’abord un paysage industriel sous un ciel gris. Mais on peut y voir aussi l’intensité de la mémoire qui rappelle différemment les œuvres antérieures quand on visite une exposition. Ces peintures appartiennent toutes au même titre à l’histoire, mais elles apparaissent dans l’exposition de manières très différentes, elles n’ont pas la même présence, et c’est possible justement parce que ce ne sont pas les peintures originelles et qu’elles sont ici redessinées.
Tu viens de publier avec Elie During un essai sur la notion de futur et plus exactement sur la notion de « rétro futur ». Dans cette publication tu n’illustres pas ses propos mais y développe ton propre travail. Il semble que, « rétrospectivement », vous vous soyez retrouvés sur les préoccupations de temps chacun dans son propre domaine…
C’est Elie qui a repéré ce point de convergence dans nos travaux. A l’origine, je lui avais proposé d’écrire, pour le catalogue d’une exposition, un texte qui ne soit pas sur mon travail, mais qui trouve son origine dans ses propres préoccupations, et je me proposais de travailler l’iconographie du livre dans un second temps, une fois le texte écrit. Au final, cela va audelà, et le rapport du texte et des images dans le livre produit une impression étrange, un peu comme un canon chanté à deux voix. Nous nous intéressons aux mêmes sujets, mais de manières très différentes ; lui pense par abstraction, à partir de concepts, quand j’avance par analogie, à partir d’objets. Par exemple, pour la manière dont une chose qui arrive paraît toujours avoir été possible avant, Elie va penser à Bergson et au “mouvement rétrograde du vrai” quand je penserai moi à l’évolution des ailerons des prototypes de véhicules aérodynamiques.
Il est frappant parfois de retrouver dans des réalisations architecturales récentes ou des publications certains de tes projets comme « Plug in City 2000 » ; je pense au Musée du Quai Branly ou à cet ensemble d’immeubles en Afrique du Sud qui semblent avoir été construits à l’image de tes photographies…
C’est vrai que c’est assez troublant, cet immeuble à Johannesburg semble être une transposition dans le réel d’un de mes dessins du début des années 2000. Ce n’est pas la première fois que cela arrive, surtout avec Plugin City (2000), même si c’est le premier immeuble ; cela avait été le cas avec des images ou des films. Ce travail a circulé un peu partout très rapidement, les images étaient optimistes et joyeuses et ont souvent été reproduites dans des cahiers de tendance par exemple. Je ne pense pas qu’elles aient été copiées véritablement, elles ont plutôt participé à populariser l’idée de ce genre de construction. Avec le temps, elles sont devenues une possibilité parmi d’autres. Et même si l’inspiration avait été plus littérale, d’une certaine manière les auteurs de ce projet auraient prolongé mon travail à partir du point où je l’ai laissé, et je serais bien mal venu de m’en offusquer, je m’en réjouirais au contraire ! Quel heureux destin pour un tableau que de devenir un paysage.