Paloma Blanchet-Hidalgo / Slash magazine : Dans vos œuvres, l’alliance de la technologie et du corps perçu comme un ensemble de systèmes esquisse de nouveaux espaces sensoriels.
Taro Izumi : Prenons l’exemple de Telescope . Sans jamais regarder la toile, je peins un tableau à travers l’espace dessiné par des corps ; les formes sont tracées de manière aléatoire, à l’aide d’un moniteur vidéo. J’éprouve alors la sensation, récurrente dans toutes mes vidéos, de toucher l’objet. J’utilise mon corps comme un médium, au même titre que le pigment ou le bois, et je le contrôle à distance. Selon moi, c’est la dimension concrète qui donne au travail sa force, sans qu’il soit nécessaire de s’attarder sur le concept.
En quoi la vidéo touche-t-elle selon vous » les organes internes du monde ? «
La vidéo est en quelque sorte un zombie ; intégrée à mes installations, elle permet de visualiser une énergie cinétique, d’observer à la fois un état et un processus. Elle répète un même mouvement, poursuit inlassablement des actions passées pour les immortaliser, au contraire de la peinture, que je perçois comme un cadavre. Faire apparaître simultanément plusieurs actions suscite un effet d’étrangeté. Dans d’autres vidéos, je tente plutôt de rendre abstrait le réel. C’est le cas de “White Bear” : une pierre lancée dans l’eau y éclabousse un dessin, révélant un effacement progressif, une dilution du trait.
Vos mises en scène, à l’instar de « The Cultivation of a Shoe Bottom », sont aussi ludiques qu’absurdes. Quel investissement imaginaire autour de la condition de joueur ? Dissimule-t-il une critique sociale ?
Là encore, ce qui importe dans le jeu n’est pas sa finalité mais l’expérience d’un processus. Il en va de même dans mon travail ; la règle du jeu y met en évidence une tension entre liberté et contrainte. Les concepts et les lois, aussi précis soient-ils, n’empêchent pas une expérimentation, source d’étonnement et de possibles, ainsi qu’une pluralité d’interprétations. Ce questionnement autour de la liberté de représentation fait en effet écho à une expérience sociétale : il peut « métaphoriser » ma soif d’indépendance, confrontée aux normes de la société nipponne.
Une récente exposition australienne avait pour titre Alternating Currents — Japanese Art After March 2011. Vous y présentiez « Brave Yawn » (2011), installation chaotique proche de « Diagonal Harvest »…
L’idée de “Brave Yawn” m’est venue avant le séisme. Celui-ci a néanmoins changé ma perception de l’installation ; c’est cette modification qui m’intéresse. Après les évènements, les Japonais ont dû faire face à des doutes qui étaient auparavant inconcevables, les avis officiels étant souvent très éloignés de la vérité. Il m’a paru dès lors particulièrement important d’analyser la situation sous divers points de vue. Si le tremblement de terre a bel et bien influencé certains de mes travaux, je ne cherche cependant pas à en faire un symbole national, comme peuvent l’être aujourd’hui les manga ou la bombe atomique ; je trouve à la fois ridicule et gênant que le séisme ou les centrales nucléaires puissent aujourd’hui participer de stratégies identitaires.
Votre prochain projet ?
Je serai en Écosse au mois de mai pour une résidence. En automne, je participerai à une exposition collective au Mori Art Museum, justement, ainsi qu’à l’Aichi Prefectural Museum of Art de Nagoya. Je prépare également d’autres expositions au Japon.