Vue de l’exposition « Artist impression »
Galerie GP & N Vallois, Paris
10.03 – 22.04.2017
© Aurélien Mole
Vue de l’exposition « Artist impression »
Galerie GP & N Vallois, Paris
10.03 – 22.04.2017
© Aurélien Mole
Vue de l’exposition « Artist impression »
Galerie GP & N Vallois, Paris
10.03 – 22.04.2017
© Aurélien Mole
Vue de l’exposition « Artist impression »
Galerie GP & N Vallois, Paris
10.03 – 22.04.2017
© Aurélien Mole
Vue de l’exposition « Artist impression »
Galerie GP & N Vallois, Paris
10.03 – 22.04.2017
© Aurélien Mole
Gaël Charbau : Quasiment toutes tes œuvres appartiennent à des programmes, des idées, des énoncés que tu inventes et qui génèrent de multiples séries. On établira peut-être un jour la cartographie de cette véritable galaxie : elle permettrait de comprendre tous les liens qui réunissent tes œuvres dans un seul et même monde… Tu vas présenter une série naissante au sein de cet univers, qui s’intitule «Ce qui est sorti du chapeau aujourd’hui», peux-tu m’en donner le principe ?
Gilles Barbier : Le chapeau, c’est la tête; aujourd’hui une fréquence d’horloge. L’idée est, comme souvent, d’associer la puissance du faire avec une liberté qui va contredire la démarche, souvent accompagnée d’un lexique lourd, usé, cloisonnant. Pour cela, je pose des stratégies qui provoquent l’éclatement dans un cadre donné, où chaque fragment peut être recueilli. J’appelle ce principe «machine de production». Associer machine et subjectivité me tourmente depuis longtemps, du moins depuis que l’intelligence artificielle permet de clarifier leur interaction. Ce qui est sorti du chapeau aujourd’hui agit comme tel, et je n’ai pas à me soucier des objets qu’il produit, juste d’y être attentif et dédié.
G.C. : Cette série présente toutes sortes de formes, de personnages, d’objets, d’idées – que j’appellerai des «inattendus» – qui ont pour point commun de sortir d’un chapeau, toujours différent, situé au bas du dessin. L’un de ces dessins présente un ciel étoilé, où tu as représenté une constellation. Comme souvent dans ta manière de travailler, cette œuvre donne elle-même naissance à une autre série de formats moyens, qui figurent des planètes aux noms étranges… Peux-tu m’expliquer de quoi il s’agit ?
G.B. : Au cours de mes recherches sur internet pour collecter des vues d’artiste, je suis tombé sur des logiciels en ligne : générateur de noms de planètes, de noms de vaisseaux spatiaux… En faisant tourner ces logiciels, je me suis vite trouvé en possession d’un grand nombre de planètes. Certaines n’évoquaient rien. D’autres au contraire laissaient imaginer des configurations, des textures, des lumières, des histoires… Le chapeau, sous forme de constellation, m’a permis de jeter ces noms sur un ciel étoilé. Pour retomber sur mes pattes, ces planètes sont devenues des peintures, des vues d’artiste, pour reprendre le terme consacré. Ce sont des mondes, de puissants potentiels, des rêves et des usines à peinture, j’adore ça. À quoi ressemblent Bellaqua, Gorgona Prime, Gamma Ecliptis ?…
G.C. : Gorgona Prime a par exemple deux faces très différentes, rythmées par leur exposition à un soleil que tu as imaginé très proche… C’est une belle illustration du titre que tu as choisi pour cette exposition : la vue d’artiste, c’est un terme qu’on utilise dans les sciences lorsque l’on confie à des artistes souvent illustrateurs le soin de représenter un concept par l’image. J’y vois une vraie métaphore de l’ensemble de ton travail !
G.B. : La vue d’artiste (en anglais artist impression) est la représentation d’un sujet impossible à photographier ; trop loin, trop petit, trop vieux, invisible, n’existant pas encore… Ces sujets dont on ne peut obtenir de reproduction mécanique occupent un segment singulier au sein de la fiction. Ils sont souvent très conceptualisés, comme les exoplanètes, mais n’ont pour image qu’une fiction, cette vue d’artiste. Un pied dans une construction mentale sérieuse du réel, un autre dans la fantaisie. Cette ambivalence ne pouvait que me séduire. Et puis c’est un art mineur, comme l’a longtemps été la bande dessinée : une terre vierge. Y poser le pied produit un frisson sans égal et débusquer ces perles inconnues ou ignorées du monde de l’art fait partie des gestes qui me sont précieux.
G.C. : Il y quelques mois, dans un avion qui nous emmenait à Séoul, nous parlions d’une série à laquelle tu pensais : les «lettres aux extraterrestres»… J’en découvre aujourd’hui les premiers dessins. J’ai l’impression que tu as trouvé un remède anti-austérité à l’abstraction, mais tu vas probablement me répondre qu’il n’y a rien d’abstrait dans cette série?
G.B. : Bien sûr que si, en ce moment ces lettres aux extraterrestres sont des dessins abstraits ! Mais rien ne garantit qu’ils le resteront toujours… Imagine qu’un extraterrestre, un vrai, parvienne à lire l’une de ces abstractions comme un texte ! Parce que dans sa langue et dans sa calligraphie, ces formes sont des motifs lisibles et signifiants… Il ne serait alors plus question d’abstraction, mais de message ! Ces lettres sont un vrai casse-tête pour le sens, alors je les enferme dans des bouteilles que je jette à la mer, enfin, à l’espace, si j’ose dire.
G.C : Tu présentes une toute nouvelle sculpture dans l’exposition: une énorme mâchoire de mégalodon. Est-elle le résultat à nouveau d’une série précédente?
G.B. : La bouche est l’entrée qui donne accès à l’espace tube et aux zones de transit. Ces espaces m’obsèdent depuis longtemps car je vois s’y dessiner un aspect de l’architecture contemporaine. Celle des transferts de données : Serveurs, transports, transits dans l’estomac du big-data, redistribution… Celle de la circulation des corps : portiques, métro, sas, contrôle, fuselage, couloirs, ascenseurs, escalators… Dans ces architectures dessinées avec un soin d’orfèvre, je ressens l’impuissance absolue. À moins d’oser se mettre en état de virus ou de terroriste. Ce n’est pas pour moi une option, la promenade est mon modèle ! Mais l’espace tube interdit l’arrêt, le flux doit être permanent, bien qu’y soient ménagés des espaces intermédiaires où l’on macère le temps que les organes de distribution s’accordent. Revenons à cette mâchoire de mégalodon. Dans le rapport au corps, ses dimensions sont celles des portiques qu’on trouve dans les aéroports. Et la franchir permet ce traitement en impuissance, où tout est écrit, jusqu’à la libération. Mais une simple mâchoire ne suffit pas à faire émerger ce sentiment de dépossession, de soumission au flux… Encore faut-il lui associer les consignes qui caractérisent l’espace tube. Ainsi, l’intérieur des mâchoires est envahi de consignes. En effet, le corps qui abdique en intégrant l’espace tube doit, avant tout, respecter les consignes qui assurent la sérénité du flux, par exemple : attention, zone déconseillée aux porteurs de stimulateur cardiaque…