Vue de l’exposition « L’Encyclopédie des guerres : département des jeux et distractions »
Galerie GP & N Vallois
07.11 – 01.12.2018
© Aurélien Mole
Vue de l’exposition « L’Encyclopédie des guerres : département des jeux et distractions »
Galerie GP & N Vallois
07.11 – 01.12.2018
© Aurélien Mole
Jean-Yves Jouannais
12 boîtes d’archives pour l’Encyclopédie des Guerres
2018
Technique mixte
32 x 18,5 x 48,5 cm
Jean-Yves Jouannais
Ceratotherium (Histoire naturelle)
2014
Collages
67 x 223 x 4 cm ( 5 éléments, chacun 45 x 29,7 cm )
Jean-Yves Jouannais
Ceratotherium (Histoire naturelle)
2014
Collages
67 x 223 x 4 cm ( 5 éléments, chacun 45 x 29,7 cm )
Jean-Yves Jouannais
Vespula farmana (Histoire naturelle)
2015
Technique mixte sur papier
67 x 183 x 4 cm
Jean-Yves Jouannais
Loxodonta occidentalis (Histoire naturelle)
2014
Technique mixte sur papier
67 x 286 x 4 cm
« Éric Mangion : Avant d’entamer ce travail sur l’Encyclopédie des Guerres tu étais critique d’art, commissaire d’exposition et écrivain. Tu as abandonné au moins les deux premières « fonctions » pour te consacrer, à quarante ans, à ce nouveau projet. Tu en parles d’ailleurs comme le projet du « reste de ta vie ». Comment travailles-tu au quotidien pour mener à bien cette recherche dans le temps ? Comment constitue-t-on une encyclopédie ?
Jean-Yves Jouannais : Je ne sais pas trop comment cette occupation s’est imposée dans ma vie, surtout comment elle y a pris tant d’ampleur, jusqu’à tout absorber. Je crois saisir que la plupart des stimuli, des sources, sont des objets littéraires, et non des modèles rencontrés dans le champ de l’art. Je citerais comme rouages essentiels de l’Encyclopédie des guerres, l’influence du Bouvard et Pécuchet de Flaubert, de la Recherche du temps perdu de Proust, du Tristram Shandy de Laurence Sterne — où il est d’ailleurs beaucoup question de l’art des fortifications et de poliorcétique —, ou d’un livre capital à mes yeux, que tu m’as d’ailleurs fait découvrir, qui est De la destruction comme élément de l’histoire naturelle de Sebald.
Quant aux références à l’histoire de l’art, je dois tout de même signaler deux parcours significatifs qui, s’ils n’ont pas constitué des impulsions, m’ont néanmoins rassuré et encouragé en cours de route. Je pense à Marcel Broodthaers et à Roman Opalka.
C’est en 1963, à l’âge de quarante ans, que Broodthaers coule des exemplaires de son dernier recueil de poèmes dans du plâtre et les expose comme sculpture. Je pourrais reprendre à mon compte les phrases devenues fameuses que l’on pouvait lire sur le carton de sa première exposition à Bruxelles en avril 1964 : « Moi aussi, je me suis demandé si je ne pouvais pas vendre quelque chose et réussir dans la vie. Cela fait un moment déjà que je ne suis bon à rien. Je suis âgé de quarante ans.» C’est en 1968 qu’il se nomme « Conservateur du Musée d’Art Moderne département des aigles ».
Or, l’Encyclopédie des guerres, influencée autant par Broodthaers que par la passion nourrie par la Société Perpendiculaire pour ce que nous appelions l’art tertiaire, s’est développée au gré d’un organigramme tout aussi stalinien que pataphysique : « Encyclopédie des guerres, département des héritages » ; « Bureau de conversion d’une bibliothèque de non-guerre en bibliothèque de guerre » ; « Archives des images manquantes » ; « Sous-commission des travaux d’enfants en polémologie », où il s’agit essentiellement, pour le moment, de réunir l’ensemble des dessins et coloriages de mes enfants sur le thème des uniformes et des armes ; « Cabinet des cartes et atlas », et enfin l’exposition évolutive « Comment se faire raconter les guerres par un grand-père mort » qui constitue un département à part entière de l’entreprise.
Quant à Roman Opalka, c’est un jour de 1965, dans un café à Varsovie, tandis qu’il attendait sa femme en retard, qu’il eut l’idée de matérialiser le temps avec sa peinture. Le tableau comme un retard, selon les indications de la Boîte verte de Duchamp, pour témoigner d’un autre retard. Moi aussi, j’ai toujours eu l’impression d’avoir attendu dans un café.
Attendu une excitation, une appétence, quelque chose d’une vocation, d’un appel. Mais rien, jamais, n’est venu. Alors l’Encyclopédie des guerres, qui est une collection, une litanie, un feuilleton, un décompte, s’avère une activité qui, si elle ne répond pas à cette attente, est en revanche une modalité de cette attente, l’une de ses formes possibles, aujourd’hui pour moi la plus acceptable, non pas la plus confortable, mais la plus excitante et la plus gratifiante. »
Extrait de l’entretien entre Éric Mangion et Jean-Yves Jouannais publié à l’occasion de l’exposition Comment se faire raconter les
guerres par un grand-père mort