Vue de l’exposition « Systema Nature »
Galerie GP & N Vallois, Paris
03.10 – 08.11.2014
D.R.
Vue de l’exposition « Systema Nature »
Galerie GP & N Vallois, Paris
03.10 – 08.11.2014
D.R.
Vue de l’exposition « Systema Nature »
Galerie GP & N Vallois, Paris
03.10 – 08.11.2014
D.R.
Vue de l’exposition « Systema Nature »
Galerie GP & N Vallois, Paris
03.10 – 08.11.2014
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Les deux cycles de conférences intitulés l’Encyclopédie des guerres, au Centre Pompidou depuis 2008 et au théâtre La Comédie de Reims depuis 2010, font le pari de raconter, sous forme d’abécédaire, l’intégralité des conflits et de chacun de leurs aspects, depuis l’Iliade jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Dans ce cadre de rendez-vous au long terme, la mise en circulation orale est envisagée comme mode de production littéraire. L’Encyclopédie des guerres est un roman qui s’invente à force de citations et de collages. Certaines légendes sont nées au fil de ce récit improvisé. J’ai par exemple progressivement inventé un rôle à mon grand-père paternel, Jean Jouannais. J’ai fantasmé une histoire familiale où ce grand-père m’aurait raconté ses faits d’armes. D’où l’intuition que ce que je faisais s’apparentait à de la ventriloquie. Je me mettais dans la peau d’un grand-père qui me racontait l’histoire des guerres. Je prenais en charge, en le créant, ce que quelqu’un d’autre aurait dû me transmettre. Disons en somme que je suis une sorte de chercheur qui inventerait la matière de ses enquêtes.
Systema naturae constitue un ensemble de documents, composés de collages et de textes, dont j’attribue la « paternité » à mon grand-père, né en 1913, à Saint Angel (Allier), et mort en 1945. Sergent, il s’est noyé pendant une période de réserve à la caserne de Montluçon. Mort à 32 ans, à la conclusion de la Seconde Guerre mondiale, né à l’aube de la Première, il avait nourri pour les matériels de guerre une passion bizarre. Scientifique très amateur, entomologiste illuminé, il ne pratiqua qu’un livre, Systema naturae (Systèmes de la Nature) de Linné, dont la première édition remonte à 1735. Linné avait imposé son système de nomenclature binomale. En taxinomie (botanique, zoologie, etc.), le nom binomal provient de la combinaison de deux noms servant à désigner un taxon de rang inférieur au genre. Cela devint le système linnéen. Toute espèce du monde vivant est désignée par un binôme latin. Celui-ci se compose d’un nom de genre suivi d’un nom d’espèce, dont l’ensemble constitue le nom scientifique international.
Le voyage que Jean Jouannais fit dans l’œuvre de Linné s’assimile à quelque épopée et finit par résumer sa vie entière. Il entreprit donc, dès 1932 et jusqu’à sa mort, de classer les matériels de guerre comme autant d’espèces vivantes. Par exemple : « Les canons automoteurs appartiennent de plein droit à la famille des Éléphants contrairement aux chars qui se rattachent à celle des Rhinocéros tandis que les automitrailleuses sont assimilées à ces autres ongulés que sont les Chevaux et leurs cousins.»
La folie ne se dévoile qu’épisodiquement, lorsque l’auteur croit pouvoir identifier parmi ces matériels des spécimens mâles ou femelles. Jean Jouannais a fini par oublier leur pedigree industriel pour rêver plus librement le mode de reproduction et la sexualité de ces oiseaux et mammifères métalliques. Si l’on choisit d’oublier que les prolégomènes de cette entreprise sont intégralement fautifs, on relève finalement peu d’erreurs dans l’ensemble de ses notations. Pas davantage, en tout cas, que chez Buffon qui prétendit, par exemple, que les martinets sont « eux aussi de véritables hirondelles, et à bien des égards, plus hirondelles que les hirondelles elles-mêmes. »