L’éléphant en bois crépi intitulé, de façon énigmatique, Pour le réveiller il suf t d’un souf e est une proposition à double fond qui, à la fois, nous projette dans le passé et interroge notre avenir. Survivant d’un monde antérieur à l’homme, cristallisant d’innombrables représentations, depuis les récits de la traversée de l’Europe par les armées d’Hannibal jusqu’à ces gures familières, universelles, que sont Babar et Dumbo, l’éléphant incarne véritablement “ce qui demeure”. En même temps, celui que Buffon percevait comme un “miracle d’intelligence” n’inspire plus l’admiration des hommes d’aujourd’hui. Menacé d’extinction (les experts annoncent sa disparition d’ici la n du siècle), il apparaît au contraire, dans le monde actuel, comme en sursis, traînant avec lui quelque chose de primitif, de mal dégrossi que la construction bricolée de Virginie Yassef met nettement en relief. Un peu mammouth, un peu décor de théâtre ou de fête foraine, cette construction pataude se révèle en somme aussi incongrue dans un espace dédié à l’art qu’est encombrant son modèle vivant dans la société contemporaine où, comme le rappelait Romain Gary en 1968, dans sa Lettre à l’éléphant, il passe pour une espèce « anachronique », condamnée par les progrès de la civilisation. Aussi peu à l’aise dans un musée que dans un magasin de porcelaines, interdit de séjour parmi les hommes d’aujourd’hui, l’éléphant va-t-il, à l’instar des dinosaures, disparaître de la surface de la terre ? La question, posée en ligrane, trouve une réponse des plus invraisemblables avec cette œuvre qui transforme le quadrupède en cheval de Troie en suggérant, par l’introduction d’un fond sonore de machines à coudre, qu’un atelier clandestin s’active dans ses entrailles.
Catherine Francblin, « Virginie Yassef : la cause des éléphants », in Ce qui demeure est le futur, Collection moderne et contemporaine du Musée Picardie, 2009, pp.116-119.